Peinture
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Après que les Romains eurent enlevé les Sabines, ils les épousèrent et les traitèrent avec beaucoup d’égards ; mais les Sabins, conservant un ressentiment secret de l’outrage fait à leurs filles, tentèrent en plusieurs occasions d’en tirer vengeance. Au bout de trois ans, Tatius, leur roi, rassembla ses plus braves guerriers, et fondit avec eux sur Rome, pour exterminer les ravisseurs. Rome est surprise ; déjà les Sabins couvrent les remparts du Capitole dont ils s’étaient emparés par la trahison de Tarpéia. A cette nouvelle, les Romains s’arment à la hâte, sortent, et marchent à l’ennemi. Le combat s’engage ; on s’attaque de part et d’autre ; les deux chefs, animés d’une égale fureur, se rencontrent au fort de la mêlée, se disposent à se livrer un combat singulier, suivant l’usage de ces tems hérooeques. Tout-à-coup les Sabines accourent sur le champ de bataille, tout échevelées, portant leurs petits enfans nus sur leur sein, à travers les monceaux de morts. Elles appellent à grands cris leurs pères ; leurs frères, leurs époux, s'adressant tantôt aux romains, tantôt aux sabins. Les combattans émus de pitié leur font place ; Hersilie l'une d'elles, femme de Romulus, dont elle avait eu deux enfans, s'avance entre les deux chefs ; elle s'écrie : "Sabins, que venez vous faire sous les murs de Rome ? Ce ne sont point des filles que vous voulez rendre à leurs parens, ni des ravisseurs que vous voulez punir ; il fallait nous tirer de leurs mains lorsque nous leur étions encore étrangères : mais maintenant que nous sommes liées à eux par les chaînes les plus sacrées, vous venez enlever des femmes à leurs époux et des mères à leurs enfans. Le secours que vous voulez nous donner à présent nous est mille fois plus douloureux que l'abandon où vous nous laissâtes lorsque nous fûmes enlevées. Si vous faisiez la guerre pour quelque cause qui ne fut pas la nôtre, encore aurions des droits à votre pitié, puisque nous ne faisons plus qu'une famille. Si cette guerre n'a été entreprise que pour nous, nous vous supplions de nous rendre nos pères et nos frères, sans nous priver de nos maris et de nos enfans". Ces paroles d'Hersilie, accompagnées de ses larmes, retentissent dans tous les coeurs. Parmi les femmes qui l'accompagnent, les unes mettent leurs enfans aux pieds des soldats, qui laissent tomber de leurs mains leurs épées sanglantes ; d'autres lèvent en l'air leurs nourrissons, et les opposent comme des boucliers aux forêts de piques qui se baissent à leur aspect. romulus suspend le javelot qu'il est prêt à lancer contre Tatius. Le général de la cavalerie remet son épée dans le fourreau. Des soldats élèvent leurs casques en signe de paix. Les sentimens de l'amour conjugal, paternel et fraternel, se propagent de rang en rang dans les deux armées. Bientôt les Romains et les Sabins s'embrassent, et ne forment plus qu'un peuple.
peinture
tableau
Paris, musée du Louvre
Paris, Musée Napoléon [Musée du Louvre], 1808
1808
Paris
Musée Napoléon [Musée du Louvre]